Extrait: Qu'il fasse beau, qu'il fasse laid, c'est mon habitude d'aller sur les cinq heures du soir me promener au Palais-Royal. C'est moi qu'on voit toujours seul, r vant sur le banc d'Argenson. Je m'entretiens avec moi-m me de politique, d'amour, de go t ou de philosophie; j'abandonne mon esprit tout son libertinage; je le laisse ma tre de suivre la premi re id e sage ou folle qui se pr sente, comme on voit, dans l'all e de Foi, nos jeunes dissolus marcher sur les pas d'une courtisane l'air vent , au visage riant, l'oeil vif, au nez retrouss , quitter celle-ci pour une autre, les attaquant toutes et ne s'attachant aucune. Mes pens es ce sont mes catins. Si le temps est trop froid ou trop pluvieux, je me r fugie au caf de la R gence. L , je m'amuse voir jouer aux checs. Paris est l'endroit du monde, et le caf de la R gence est l'endroit de Paris o l'on joue le mieux ce jeu; c'est chez Rey que font assaut le L gal profond, Philidor le subtil, le solide Mayot; qu'on voit les coups les plus surprenants et qu'on entend les plus mauvais propos; car si l'on peut tre homme d'esprit et grand joueur d' checs comme L gal, on peut tre aussi un grand joueur d' checs et un sot comme Foubert et Mayot . Une apr s-d n e j' tais l , regardant beaucoup, parlant peu et coutant le moins que je pouvais, lorsque je fus abord par un des plus bizarres personnages de ce pays o Dieu n'en a pas laiss manquer. C'est un compos de hauteur et de bassesse, de bon sens et de d raison; il faut que les notions de l'honn te et du d shonn te soient bien trangement brouill es dans sa t te, car il montre ce que la nature lui a donn de bonnes qualit s sans ostentation, et ce qu'il en a re u de mauvaises sans pudeur. Au reste, il est dou d'une organisation forte, d'une chaleur d'imagination singuli re, et d'une vigueur de poumons peu commune. Si vous le rencontrez jamais et que son originalit ne vous arr te pas, ou vous mettrez vos doigts dans vos oreilles, ou vous vous enfuirez. Dieux, quels terribles poumons Rien ne dissemble plus de lui que lui-m me. Quelquefois il est maigre et h ve comme un malade au dernier degr de la consomption; on compterait ses dents travers ses joues, on dirait qu'il a pass plusieurs jours sans manger, ou qu'il sort de la Trappe.